Juillet 76 J’écris mon premier scénario de fiction. Ça s’appelle « La tentatrice chauve », en référence bien sûr à « La cantatrice chauve » de Ionesco que bien sûr je n’ai jamais lu, ni vu, jusqu’à aujourd’hui compris. J’envoie le scénario à Laurent Bénégui qui me répond par une lettre enthousiasme (je l’ai gardée) : il est emballé, nous allons faire un chef d’oeuvre. Reste à convaincre tous les autres de participer à l’aventure. Je rêve de cinéma depuis que j’ai 10 ou 11 ans, et là je me dis que c’est enfin possible.
Octobre 76 Le tournage est organisé. Le film sera tourné en Super 8, avec pour moitié mes économies, et pour autre moitié une participation de tous les acteurs du film : Laurent Bénégui, Laurent Bauer, Emmanuel Ferret, Aleth Ferret, Stéphane Ferret, Suzette Mont-Louis, Françoise Jarnet et François Lemaire. C’est Luc Pagès qui tiendra en partie la caméra, et moi qui assurerais la réalisation et le montage. Le tournage a lieu dans une grande euphorie. Dès le premier jour de tournage, les flics m’arrêtent dans la rue en costume de grenadier d’empire parce que je porte à la ceinture un sabre qui nécessite un port d’arme. Pendant un instant, je crains que le tournage soit stoppé net par les autorités. À peine sorti de l’oeuf et déjà victime de la censure officielle, c’est un bon début. Nous tournons le film dans l’appartement de la famille Ferret. Pendant tout le tournage (un week-end entier) le père d’Emmanuel, Aleth et Stéphane se balade une éponge à la main pour nettoyer les murs de son appartement qui vont être filmés. C’est un peu stressant, mais je reste poli, à tout instant aussi, il peut nous virer de chez lui. Il y a aussi des effets spéciaux faits en direct façon Méliès. C’est le clou du film : chaque personnage est en fait un des autres, et tous vont se démasquer les uns après les autres et donc s’intervertir. Tous se demande comment je vais m’y prendre, c’est mon secret de fabrication. Je me souviens de Stéphane qui m’impressionne parce qu’il réussit à pleurer, de Laurent Bénégui qui joue l’inénarrable et malicieux Dr Mc Intire. Laurent Bauer est un juvénile basketteur au short trop court. Emmanuelle Ferret est imperturbable à souhait, sa sœur Aleth en infirmière ne peut s’empêcher de fixer la caméra en éclatant de rire. Françoise Jarnet joue une amoureuse à la perfection, Suzette Mont-Louis est en femme de chambre avec plumeau, rien ne la déride, François Lemaire, lui, passe son temps dans un fauteuil à lire des BD, normal, c’est son rôle. Tout cela est très angoissant mais si exaltant, beaucoup de fous rires, et le temps qui presse. Le lundi qui suit, nous tournons aux Champs-élysées. Nous avons apporté une porte avec nous que nous ouvrons et fermons, car dans l’histoire un des personnages ouvre une porte de l’appartement qui (gag) donne directement sur les Champs. Grosse rigolade. Le tournage est terminé. Le premier de ma vie.
Décembre 76 Nous organisons une projection au Centre Valeyre rue Rochechouart. Deux jours plus tôt, j’ai accidenté la voiture de mon père en allant avec Laurent Bénégui nous approvisionner en boissons à Métro, une grande surface de banlieue. Premier film, première fois que mon père me prête sa voiture, premier accident de voiture. Premier succès ? Oui, la projection est un succès, forcément c’est la famille qui est là. Nous organisons pour finir un peu jeu idiot destiné à récupérer un peu d’argent, et ça marche. Formidable soirée. Mon père semble consolé de sa voiture défoncée.
Février 76 Le film passe dans un festival Super 8 à Paris. Mais il est projeté à la mauvaise vitesse, la bande-son bave comme un vieux chien, c’est un cauchemar absolu, je quitte la salle. Et rentre chez moi, la rage au cœur. C’est Nicole Bénégui, la mère de Laurent qui me console, ou plutôt m’engueule en me disant que je dois être plus fort que ça si je veux continuer à faire l’artiste. Elle n’a que trop raison. Ce métier me réservera bien des déconvenues.
Avril 76 Le film est sélectionné dans un Festival à Bordeaux. C’est un peu comme Cannes, mais à Bordeaux. J’y vais avec deux copains qui n’ont pas participé au film. À la fin de la projection, je dois aller sur scène pour discuter avec le public. Je suis tellement intimidé que je pousse un des deux copains, Jean-Michel, a y aller à ma place. Il se fait donc passer pour moi et discute avec le public avec beaucoup d’aisance, à tel point qu’il donne l’impression à tous d’avoir vraiment fait ce film. Drôle d’expérience.
Novembre 2008 Je retrouve la bobine du film. Je décide de la faire transférer sur DVD.
Janvier 2009 J’envoie le DVD aux participants du film. Laurent me répond le lendemain, il semble très ému et me propose de mettre le film sur son site. J’accepte avec joie. Il veut un texte d’accompagnement. Je m’y colle avec émotion. Plus de trente ans ont passé. |