Telerama - Jean-Claude Loiseau
Laurent Bénégui a voulu rendre hommage à ceux qu'il aime, son père et sa mère, ses amis. C'est, évidemment, très casse-gueule : du danger des bons sentiments au cinéma, etc. Raison de plus pour saluer le tour de force d'un réalisateur qui arrive à faire un film chaleureux sans être mièvre, peuplé de personnages sympathiques sans être plats. Un film où l'on se sent en connivence avec ce que l'auteur avait de plus personnel à dire…
C'est le dernier soir, le dernier coup de feu au petit Marguery. Hippolyte, le patron, abandonne ses fourneaux .Le pâle sourire de son épouse, Joséphine, laisse supposer que ce n'est pas de gaieté de cœur. Qu'il y a une raison sérieuse, impérieuse, à ce renoncement. On ne la découvrira que bien plus tard, à la fin de cette soirée où on va fêter Hippolyte.
Barnabé, le fils de la maison, était réticent : il a toujours été pudique, question sentiments. Mais il est venu, avec sa femme, Maria, parce que tous ses copains seraient là. Julien, avec qui il allait à l'école du quartier, Oscar l'éternel glandeur, et Anne-Françoise, l'intello devenue toubib, et Lydie, l'instit, et Agamemnon, qui, maintenant, travaille… à la morgue, et tous les autres, les conjoints, les ex : un quinzaine d'hommes et de femmes, 30 ans et des poussières, que l'amitié d'autrefois a de nouveau réunis, même si cette amitié s'est un peu effilochée au fil du temps…
On est là avec des gens qui se connaissent depuis longtemps. Alors Laurent Bénégui nous fait pénétrer dans leur(s) histoire(s) sans autre forme de présentation, là où eux-mêmes en étaient restés…
Laurent Bénégui s'est attaché à une idée simple comme bonjour : chacun de ces personnages lui tenait assez à cœur pour qu'il lui donne sa chance d'être le centre d'intérêt de cette soirée, ne serait-ce qu'un court moment.
A la fin, on les connaîtra un peu mieux. Pourtant, ce n'est pas la galerie de portraits qui compte, mais la dynamique de groupe. Un drôle de groupe, dont les contours ne cessent de changer au gré d'échanges pas toujours affectueux, voire désagréables à l'occasion.
Les uns parlent trop fort et les autres sont inhibés. Les vernis craquent sous l'effet de la chaleur communicative, de la fatigue ou des souvenirs qui remontent à la surface. Des rancoeurs avouées menacent, un instant, de gâcher l'ambiance : à l'inverse, des tendresses jamais exprimées s'avouent comme par inadvertance. Le groupe revit. En courtes scènes remarquablement bien dialoguées, Laurent Bénégui se livre à une belle marqueterie psychologique.
Rien de décisif ne se joue là. Sauf pour Hippolyte, bien entendu. En arrivant, certains étaient dans le secret, d'autres pas. Ce qui lui arrive est douloureux et cela jette un froid. Juste un moment de gravité inopiné sur lequel on glisse. C'est la manière pudique qu'a Laurent Bénégui de voir les choses : ne jamais se laisser aller aux débordements émotionnels.
Au petit Marguery est un film sans queue ni tête ; entendez : où l'on entre à l'improviste et qui s'achève sur des points de suspension. C'est son originalité et son charme : on a passé un moment avec des gens qu'on ne reverra plus, mais on a eu l'agréable sensation, le temps d'une soirée, de faire, nous aussi, un peu partie de la famille...
Positif - Claire Vassé
La chair est gaie, les amis. Au petit Marguery, c'est avant tout un hymne à la matière et au concret, la caméra traînant au milieu des casseroles et des victuailles, multipliant les gros plans sur un morceau de viande saignante ou la confection d'un gâteau à la crème. Hymne obsessionnel qui continue de nous poursuivre hors des cuisines. Agamemnon décrit son travail à la morgue, qui explique l'odeur de putréfaction qu'il véhicule, Bimtou veut se débarrasser d'un corps, celui de l'enfant qui « encombre » son ventre. Un ami fait ce jeu de mots révélateur lorsque Barnabé écrit un mot sur la blouse de son père : « Ce doit être dur d'écrire sur son père, je veux dire "dessus" ». Et surtout il y a les plaisanteries scatologiques, que ce soit la vengeance du petit Barnabé qui lance un pet tonitruant du haut de l'escalier que descend sa mère et qui mène à la salle de restaurant bondée de clients ; ou encore la boutade de Daniel, d'un goût plus que douteux, expliquant que sa femme ne mange pas à midi car « sinon elle chie au lit ». « Au petit Marguery », la crudité de l'organique et de la matière n'est pas gratuite (ni vulgaire, donc). Elle éponge le trop-plein de la vie sans l'empêcher de s'écouler, à l'image des gouttes de sang qui tombent du nez du restaurateur et qui ramène son fils quelques années plus tôt, alors que, blessé lors d'une manifestation, son père lui envoie une gifle retentissante.
Retour en arrière qui n'est pas le seul, le film étant construit sur des passerelles qui nous mènent insensiblement du passé au présent sans que l'on comprenne immédiatement ce changement de temporalité. Pour arriver à cette image ultime du père endormi dans sa cuisine, renvoyant à celle du fils, au début du film. Le temps a passé, la mort rôde, mais, pour l'instant, seule la « petite mort » est au rendez-vous, dénoncée par un bruyant ronflement. Tant que le corps se manifeste, même de façon si peu gracieuse, il y a de la vie, n'en déplaise à ce client linguiste aux papilles si délicates, exemple à lui seul que le ridicule de la préciosité des mots peut être plus mortel que le vieillissement de la chair.
Le Point - MP
Un film qui s'ouvre et qui se clôt sur La folle complainte de Trenet cache forcément des saveurs délicieuses et inattendues. Adaptant son roman, qui est aussi son histoire et celle de son père, Laurent Bénégui a réussi à rendre une atmosphère chaleureuse et feutrée où rôdent des fantômes inquiétants, des souvenirs d'enfance et des peurs d'adultes. Stéphane Audran et Michel Aumont sont impressionnants de beauté et d'émotion dans le rôle du couple qui sait et qui se tait face aux soucis d'une jeunesse bruyante qui n'a pas encore trouvé ses marques. Ce festin pudique et tendre mérite le détour.
Time magazine International
Sixième film de notre top ten de l'année. Laurent Bénégui en adaptant son roman nous sert de copieuses rations de larmes d'émotion et de rires généreux, dans une comédie dramatique subtile. Le film de repas qui a le plus de saveur depuis le Festin de Babette.
Le Parisien - Eric Leguèbe
Laurent Bénégui signe ici un film d'une grande délicatesse, d'une chaleur humaine rare et précieuse. Voilà un film délicieux. On est heureux d'être accepté à la table de tous ces personnages attachants et d'être servi par Stéphane Audran aussi experte en tâches culinaires que dans Le Festin de Babette. Au menu du Petit Marguery, on découvre et déguste ce qu'il y a de meilleur dans le jeune cinéma français actuel.
Le figaro - Claude Baignères
Un régal ! Un film succulent. Et, avec ça, drôle et mélancolique, amer et sucré, avec du corps et du bouquet, c'est-à-dire plein de vie. Ce n'est pas la première fois que la relation cinématographique d'un banquet amical où se célèbre un évènement heureux ou un adieu comble les gourmands d'une chaleur humaine aussi précieuse que le foie gras. L'occasion y est propice. Le festin de Babette en était jusqu'à ce jour l'exemple le plus parfait. Au petit Marguery le rejoint au même menu de prestige. Laurent Bénégui a bien du talent. Il sait faire monter tout doucement une sorte de fièvre heureuse ; passer d'une note à l'autre avant qu'on risque de s'en lasser. Il va en un éclair furtif jusqu'au fond des petits drames, petits rires, petites intrigues qui jalonnent la vie. Et de cette accumulation d'observations fugitives monte peu à peu un hymne de courage et au bonheur qui vont si bien ensemble. Autour de ce gâteau, de cette gâterie, qui nous est ainsi proposé, sont assis des comédiens pétris d'authenticité humaine. Ils sont tous inconnus sauf Stéphane Audran et Michel Aumont. De la part de ces deux-là, la performance ne nous étonne pas mais elle nous émerveille. |